Voilà, j'inaugure une série d'articles sur ce blog. En vous faisant lire ces articles, mon pari est de vous intéresser aux aspects techniques et rationnels du métier d'agriculteur, pour sortir des débats émotionnels, parler de faits et susciter la réflexion.
Cette envie m'est venue petit à petit, suite à la parution de thématiques liées à l'agriculture dans les médias, et notamment les médias sociaux qui sont souvent le lieu où l'humain a le plus de capacités à dire tout haut ce qu'il pense, sans se soucier de vérifier ce qu'il énonce et sans y mettre la forme, alors qu'il est certainement un individu tout à fait civilisé en société... Souvent, en voyant ces reportages ou en lisant ces articles, encore plus en lisant les commentaires qui y sont liés, j'ai l'impression qu'on aborde le sujet à moitié, qu'on ne tient pas compte de tous les aspects de la problématique.
Je vais donc faire de mon mieux pour vous présenter, de temps en temps, un sujet agricole de la manière la plus exacte possible, tout en essayant d'être compréhensible et qui sait? intéressante dans la manière d'exposer le sujet. Je vous prie d'avance d'excuser les éventuelles erreurs ou lacunes qui pourraient être présentes (eh, je ne suis qu'apprentie pour le moment! ;-)... n'hésitez pas à me corriger (gentiment ;-), le cas échéant.
"Wow, quel raccourci!" je me suis dit. Et du coup j'ai décidé d'en faire le sujet de mon premier article, même si le duo purin-fumier n'est pas au top du glamour...
Quand on pense au fumier, et surtout au purin, si l'on n'est pas agriculteur, on pense sans doute d'abord à l'ODEUR, celle qui vient pourrir notre journée de grillades parce que BIEN SUR, le paysan du coin a décidé qu'il allait sortir la bossette un samedi, il ne sait pas que c'est le jour où on veut juste profiter du jardin en paix, ou quoi?!? Et peut-être nous viennent en tête ensuite les images du purin qui pollue les nappes phréatiques, le lac, l'océan, qui participe à l'eutrophisation des cours d'eau (les algues vertes qui prolifèrent, entre autres).
Mais d'abord, de quoi parle-t-on quand on parle de purin? Dans la famille des trucs qui puent à l'écurie, il y a le purin (qu'on nomme aussi lisier) et le fumier. La principale différence entre ces deux trucs qui puent, c'est que le purin est liquide, et le fumier est solide. Le fumier est composé de paille (celle sur laquelle les vaches se couchent et font leur bouses (si possible pas au même endroit, mais des fois oui) et de bouses, donc, ainsi que d'urine (un peu). Le purin, lui, en principe doit être plutôt liquide, donc il n'y a pas (trop) de paille dedans. Selon le système qu'on a à l'étable, on aura plutôt du purin ou plutôt du fumier, ou un peu des deux.
Le purin et le fumier peuvent être utilisés pour produire de l'énergie dans un biogaz, et on récupère ensuite les résidus, cela s'appelle du digestat, c'est aussi utilisable dans les champs. On peut aussi composter le fumier, il devient alors plus intéressant pour fertiliser les terres.
Et c'est un fait, la part la plus importante de la pollution due à un surplus de nitrates (le nitrate est un des éléments qui se trouve dans le purin, c'est un élément qui se trouve naturellement dans le sol mais quand on en met trop à la fois, ou qu'il pleut, qu'il ne peut pas être assimilé par la plante, il s'infiltre dans le sol et se retrouve dans les eaux souterraines) ou de phosphore (à peu près la même problématique) provient de l'agriculture.
Facile alors, il suffit d'arrêter l'élevage, comme ça il n'y aura plus de souffrance animale (ça c'est une autre thématique que j'aborderai certainement dans un avenir proche) et on n'aura plus ce problème de surplus de nitrate et de phosphore dans les eaux.
Oui, mais tout n'est pas aussi simple.
Si on arrêtait de d'amener de la fumure (=purin, fumier, digestat, compost, engrais du commerce) dans les champs, qui se passerait-il? Dans la nature (mais oui, la vraie nature sauvage, la forêt, tout ça quoi...), ça pousse bien sans qu'on ne rajoute quoi que ce soit, non?
La différence, c'est que dans la forêt ou dans la nature sauvage, on ne prélève rien. Et du coup, la plante termine son cycle, meurt et retourne à la terre qu'elle nourrit.
Dans les champs et sur les prairies, on prend plus ou moins beaucoup à la terre, via ce qu'on cultive. Du coup, on doit redonner à la terre ce qui a été pris, sous une autre forme, pour qu'elle puisse continuer à faire pousser des plantes. Si ce sont des prairies, elles auront besoin de moins de fumure (= de nutriments) que par exemple une culture de colza ou de maïs.
L'agriculteur est donc content d'avoir un engrais de ferme (encore un autre petit nom poétique pour le fumier ou le purin) fourni gratuitement par ses vaches. S'il n'en a pas, il devra essayer de trouver un autre agriculteur qui pourra lui céder son surplus de fumier ou de purin. Il y a notamment les éleveurs de volaille ou de porcs qui ont souvent beaucoup d'engrais de ferme et ne peuvent pas tout utiliser sur leurs terres. Il a aussi la possibilité d'acheter des engrais du commerce, mais cela a un coût et la fabrication de ces engrais du commerce pose un problème écologique et éthique (exploitation de gisements naturels de phosphate et de potasse, processus chimique nécessitant de l'énergie pour synthétiser les éléments nécessaires), de même que leur utilisation (ils nourrissent directement la plante, et pas le sol, contrairement aux engrais de ferme, et risquent aussi de se retrouver dans les eaux souterraines en cas de surdosage).
Une bonne explication de la problématique, ici.
Vous l'aurez compris, comme toujours, il n'y a pas d'un côté du tout noir et de d'autre côté du tout blanc, mais beaucoup de nuances de gris (hi hi hi). L'agriculteur doit faire ses choix en fonction de la situation de sa ferme, et aussi en fonction de sa sensibilité écologique, de son éthique, de sa manière d'envisager son travail. En agriculture biologique, il n'a pas le choix d'utiliser des engrais chimiques de synthèse, c'est interdit (clique ici si tu veux voir dans le détail le cahier des charges du label Bio-Suisse, tu trouveras les directives concernant la fertilisation du sol à partir de la page 57). Mais surtout, en Suisse, si l'agriculteur veut recevoir des paiements directs, il doit respecter les PER (avant, quand j'étais enseignante, PER ça voulait dire Plan d'Etudes Romand... Maintenant, ça veut dire Prestations Ecologiques Requises).
Les PER, ce sont tout un tas de directives et entre autres une obligation de tenir un plan de fumure, c'est à dire de noter par écrit quelle quantité de déjections le bétail de la ferme produit chaque année (je vous rassure, pas besoin de se tenir derrière chaque vache avec une bassine pour récupérer sa production et ensuite la peser, il y a des calculs standards en fonction de la nourriture que les animaux ingèrent et de leur production) et quelle quantité et quel type de fumure on met sur les différentes parcelles de la ferme, si on en prend chez un collègue, si on lui en donne, etc. Tout ça nous fait des savants calculs et à la fin, on a notre bilan qui doit être équilibré au niveau de l'azote et du phosphore. On a droit à 10% de surplus, et gare à la punition si on les dépasse, il y aura alors une sanction qui peut être financière.
Voilà à quoi ressemble le bilan de fumure quand on arrive à la fin des calculs... On voit que dans cette situation, le bilan est positif (contrairement à ce que laisse croire l'adjectif, c'est n'est pas bien, cela signifie qu'il y a des excès)... mais je vous rassure, ce n'était qu'un exercice fait dans le cadre des cours.
Comme dans tous les corps de métier, il y a des personnes qui ne respectent pas ces règles, que ce soit par ignorance, en raison de la complexité des calculs et des formulaires à remplir, ou alors de manière tout à fait intentionnelle. Il y a aussi la manière d'apporter la fumure, en fonction de la météo, du terrain, de l'état du sol etc. qui a un impact sur le risque de retrouver une partie des nutriments dans les eaux. Et c'est un fait, ce sont des choses qui arrivent, malheureusement.
Mais comme dans tous les corps de métier, la majorité des agriculteurs sont des professionnels soucieux de bien faire leur travail, puisque c'est la meilleure manière d'obtenir une production de qualité. J'espère qu'avec l'évolution des méthodes de travail et la sensibilisation à cette problématique, la formation dans les écoles d'agriculture et sur le terrain, les pratiques vont encore s'améliorer pour parvenir à une situation optimale.
Alors, cette explication? Un peu longue, et tout de même assez technique. N'hésitez pas à laisser des commentaires si vous avez des questions ou des remarques!